La Rencontre d’un Maître


Basé sur une entrevue publiée en septembre 1997 dans le Wienerin (un magazine de Vienne, Autriche), et traduite en français.


A Vienne, 19ème district, dans une maison simple rue Suttingergasse, une porte insignifiante me sépare de lui. C’est une porte comme des milliers d’autres, mais aujourd’hui les choses sont différentes. Ce n’est pas une entrevue, mais une occasion. C’est ce que ses disciples ont essayé de m’expliquer. Ils m’ont parlé respectueusement de son regard qui est supposé allé dans les coins les plus reculés de l’âme humaine.

S’il peut vraiment lire les pensées, est-ce qu’il sait que j’ai déjà un avis sur toutes les histoires que l’on m’a dit à son sujet? Je remarque une couche mince de sueur sur ma peau, probablement dû à la chaleur. « Reste calme, » me dis-je. « Ouvre la porte et présente toi devant lui. »

Je suis en présence du premier Maître indien que j’aie personnellement rencontré. Sa chambre est très simple, pleine de fleurs. Il s’assied tranquillement sur le bord de son lit, le dos droit. Son rayonnement surpasse la beauté de toutes les fleurs qui sont autour de lui. Il semble divin. Avant que je puisse, sans grand enthousiasme, me prosterner devant lui (comme il est coutume de le faire), Hariharananda me prend la main. Une sensation divine, palpitante, parcourt mon corps. Nous nous asseyons, une distance de cinquante centimètres à peine nous sépare.

Je le regarde. Il me regarde aussi, mais c’est comme si un projecteur m’éclairait. Maintenant, j’ai vraiment chaud, mais c’est à l’intérieur de moi. Les huit questions que j’ai préparé se fondent dans ma tête, en une seule question. Mais même celle-là se perd dans l‘espace, comme la fumée d’un bâton d’encens.

Le Maître me sourit. Son sourire est magnifique – vieux et jeune en même temps, sage et d’une certaine façon éternel. Il y a aussi son visage qui est totalement différent des masques que l’on voit dans les tramways. Tout d’un coup, je me suis senti à demi honteux de mes préjugés – mais néanmoins j’en garde plus de la moitié. Lui, par contre, est totalement ouvert, simplement présent. Tellement présent que je suis capable de me relaxer. Et pendant tout de ce temps seulement deux minutes se sont écoulées. J’ai bien fait de noter mes questions sur un petit morceau de papier.

Une Première Rencontre

La vie n’a pas besoin de notes. Elle crée des événements que l’on ne peut pas considérer comme de simples coïncidences, sans voir le rapport qui se trouve en arrière-plan. Il y a quelques années, j’avais lu le livre « Autobiographie d’un Yogi », un classique au sujet de la voie spirituelle orientale. L’auteur est un certain Paramahamsa Yogananda qui lui-même est un Maître et prédécesseur indirect de Hariharananda. J’avais entendu parler de Hariharananda par un ami qui m’avait invité spontanément à la célébration du 90ème anniversaire de Hariharananda à Vienne.

Environ 200 des disciples de Hariharananda étaient venus du monde entier, beaucoup d’entre eux habillés en blanc, assis en position de yoga ; ils chantaient des chansons indiennes. Tous attendaient l’arrivée du Maître. Quelqu’un souffla dans une conque, et la tension monta d’un cran. J’étais curieux. Alors il est entré, avec ses longs cheveux gris, ses lunettes épaisses, vêtu d’une longue robe. Après quelques chansons en son honneur, Paramahamsa Hariharananda a pris personnellement le microphone. La conférence d’un Maître est appelée le satsang. Il parlait en anglais, au sujet de la voie du Soi vers Dieu. Au milieu de son discours, il a attiré notre attention sur la souplesse de sa peau qui, grâce aux effets rajeunissants du Kriya Yoga, était encore aussi douce que la peau d’un bébé. Il parlait franchement, libre de toutes conventions, les mots de quelqu’un qui a percé le sérieux dogmatique des religions qui sont basées sur les rites et les sons de cloche de l’église. Il a cité Jésus, Bouddha, Krishna, et d’autres Maîtres illuminés à maintes reprises, et, de cette façon, a mis en valeur la nécessité d’être en bonne compagnie pour vivre pleinement. Je me suis alors rendu compte que le point principal était de découvrir, en matière de spiritualité, le chemin le plus direct entre A et B. La vraie question pour moi était de savoir s’il m’était possible d’aller à la source principale? D’après son discours, cela n’est possible qu’à l’aide de la discipline, de la méditation – et d’un gourou, un véritable Maître.

Les Premières Impressions

Le mot gourou vient du sanscrit et signifie simplement « poteau indicateur donnant la direction de la lumière ». Mais c’est un concept souvent mal utilisé. Il y a beaucoup de prétendu « gourous » qui abusent de leur « titre. » Ils demandent la soumission aveugle de leurs disciples – sans oublier le numéro de leur carte de crédit, et dans les cas extrêmes, leur vie même. Il y a aussi les autres Maîtres, la minorité, avec un message unique et sans équivoque, « Suivez le message de votre cœur. Faites votre travail dans ce monde, mais percevez en même temps que Dieu vous aime, à chaque respiration « . Ce furent approximativement les dernières paroles de Hariharananda ce soir là. Applaudissements, larmes, joie. Il y avait une vibration douce et calme dans la salle. Il termina a exactement 22h00 – et c’est un homme qui se lève chaque matin à 4h00 malgré son grand âge. Depuis quatre ans il vient à Vienne résider dans son ashram favori en Europe.

J’ai trouvé mes chaussures à l’extérieur, parmi toutes les autres, puis je suis rentré à la maison. Je me suis senti touché. Mais, à peine un jour plus tard, cette sensation agréable s’était éloignée et les doutes avaient repris les rênes de mon esprit. Mais le journaliste en moi avait la solution: un rendez-vous privé avec lui, pour résoudre ce conflit entre la tête et le cœur. Le reste n’était qu’une question de recherche factuelle : cet homme est né en 1907 à Calcutta. Moine depuis son jeune âge, il voyage dans le monde entier depuis 1974 pour fonder des ashrams et apprendre les techniques authentiques de méditation du Kriya Yoga, dont l’origine se perd dans la nuit des temps.

Les révélations

Ma première question: « Qu’est ce que Dieu? »

« Dieu, » le vieil homme aux jeunes yeux explique, « imprègne tout ; Il est omniscient, omnipotent. Il est en chaque être humain. Ayant créé l’univers entier, Il créa l’homme et la femme, et entra dans Sa création. Il se cache dans le corps entier de tous les êtres, et dans l’univers entier. Tout est Dieu. Tous les êtres humains naissent pour la réalisation de Dieu, parce qu’ils sont des êtres rationnels. Les animaux ne peuvent pas réaliser Dieu. »

« S’il en est ainsi, pourquoi les êtres humains n’ont-ils pas tous le désir de Le réaliser? »

« Dans chaque corps humain il y a trois corps : le corps grossier, plein d’illusion et d’erreurs; le corps astral, caractérisé par la connaissance, la conscience, la super-conscience, et la conscience cosmique. Au-delà de ces deux corps est le corps causal, notre sagesse, la cause de tout qui reste dans notre fontanelle. La sagesse ne peut pas être réalisée par les cinq organes des sens, elle ne peut être perçue que par le point de l’atome, dans la fontanelle. Dieu inhale, c’est pourquoi le corps grossier est vivant. Le souffle est notre vie, la vie est notre âme qui se trouve dans l’espace entre la glande pituitaire et la fontanelle. C’est la sagesse. Le corps physique est séduisant et les gens y sont généralement très attachés – très bien. Mais nous devons nous rendre compte que sans le corps causal, le Père Suprême Tout-puissant qui se cache dans la fontanelle (le cerveau) de chaque être humain, le corps physique est inutile. »

« Mais alors qu’enseignez-vous ? »

« J’enseigne que le travail est la louange de Dieu, kri et ya. Chaque être humain fait cinq types de travail dans sa vie, correspondant aux cinq centres d’énergies, situés le long de la colonne vertébrale (les « chakras » en sanscrit), et ces cinq types de travail sont activés par le souffle. Ce souffle est inhalé du sommet de la tête, dans la fontanelle. Vous gagnez de l’argent (le premier centre) grâce au souffle; vous avez du plaisir sexuel (deuxième centre) grâce au souffle; sans le souffle vous n’auriez aucun appétit (troisième centre). La nourriture est Dieu, et elle pousse grâce au souffle de Dieu – l’air – et les cinq éléments. La nourriture vous donnera une diversité extrême, des qualités négatives, mais si vous contrôlez votre nourriture, elle vous donnera la réalisation de Dieu. Dans votre centre du cœur (quatrième centre) vous exprimez tout autant la douceur, la gentillesse, et l’amour, que la colère, la fierté, la cruauté, et ainsi de suite. Dans votre centre de la gorge (cinquième centre), la religion est activée par le souffle. »

« Qu’est ce que la religion? »

« En sanscrit, le mot pour religion est dharma, qui veut dire ce qui rassemble la vie des êtres humains, des animaux, des insectes, des plantes, et des arbres. C’est le souffle. La connaissance et le contrôle de ce souffle sont la religion. Si une personne ordinaire vient au contact d’un Maître réalisé, elle apprendra comment contrôler le souffle. Le contrôle du souffle est le contrôle de soi. La maîtrise du souffle est la maîtrise de soi, et l’état de suspension du souffle est l’état d’immortalité. »

« Quel type de contrôle du souffle ? »

« Il y a 50 types de respiration, correspondant à 50 types de tendances. Parmi eux, 49 souffles sont pour plaisir matériel, et le souffle court qui reste est pour la réalisation de Dieu. La Bhagavad Gita explique au verset 5:27 comment l’on doit prendre une inhalation courte par le nez et sentir que l’exhalation ne sort pas des narines. Dans la Bible, Jean 3:3,6-7, Jésus dit que «Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l’Esprit est esprit», ce qui signifie que le sexe prédomine dans ce monde de la matière, « il vous faut naître d’en haut ». « D’en haut » signifie le cortex cérébral en général, et la glande pituitaire et la fontanelle en particulier. C’est là où se cache notre force vitale. Si vous fixez votre attention dans la fontanelle, et si vous prenez un souffle très court, en magnétisant votre colonne vertébrale d’après la technique du Kriya Yoga, alors votre souffle sera très faible et vous sentirez la pulsation, la sensation du mouvement de Dieu, couler de la fontanelle et envahir le corps entier et le monde entier. Vous verrez la lumière divine dans le corps entier, les sept feux divins dans les sept centres du corps; et vous entendrez des sons divins au plus profond de vous. Le souffle court est inhalé par le Père Tout-puissant. Vous recevrez le véritable amour pour Dieu. Il y a beaucoup de religions et de voies spirituelles dans le monde, ce qui est bon. Mais tous les gens devraient recevoir la technique scientifique du Kriya Yoga pour gagner la tranquillité, de façon à religion plus efficacement. »

« Pourquoi dites-vous cela? »

« Parce que le Kriya Yoga est la fondation de toutes les religions, l’autoroute commune de toutes les religions. Il donne un calme extrême, et le calme est divin. Dans chacune de vos humeurs, aimez votre souffle. Le souffle est primordial pour le corps. Prenez garde à ne pas avoir trop de distractions. Passez votre temps avec nul autre que Dieu, alors le temps ne sera pas gaspillé. Votre vie entière deviendra religion, votre être entier sera un texte sacré vivant. »

« Ainsi qu’est ce que la méditation? Qu’est ce que la prière? Est-ce qu’il y a une différence entre les deux? »

« Dans les Saintes Écritures, il est dit dhyana samlina manasa nirvisaya manah – la méditation veut dire aller au-delà de l’esprit, de la pensée, de la sensation du corps, et de la sensation du monde. Cela veut dire que vous n’avez plus rien – plus de sensation du corps ou du monde. C’est l’état divin. Ainsi vous êtes capable de rester tranquillement actif et activement calme. La prière ne veut pas dire louer Dieu, mais sentir humblement la présence de Dieu. Quand vous sentez la présence vivante de Dieu grâce à la pulsation, au son et à la lumière, à ce moment là vous priez humblement, « Seigneur, Vous agissez dans mon système entier. Je Vous prie humblement, de bien vouloir me donner l’état divin, sauvez moi, protégez mes amis et ma famille. Vous êtes le Sauveur. » C’est une vraie prière, et cette prière atteindra Dieu. Tant que vous n’êtes pas dans l’état de conscience cosmique, à la porte de sagesse, votre méditation et votre prière sont inutiles. »

« Et comment peut-on atteindre l’état de consciente cosmique? »

« Seulement par la pratique, la pratique, et la pratique. L’étudiant en médecine suit son professeur et pratique, pratique, jusqu’à ce qu’un jour il devienne docteur. Affirmez simplement mentalement « Vous, Vous, et Vous » quand vous voyez le brouillard de lumière blanche. C’est votre méditation; c’est votre divinité. Chaque pratique spirituelle est bonne, mais le Kriya Yoga donne la vérité de la libération. »

Je lui demande si cela a vraiment un sens de s’embarquer sur un chemin spirituel, ici en occident, ou si ce n’est possible qu’au sommet d’une montagne? Il rit. « La montagne, » dit-il en montrant le sommet de sa tête, « c’est ici. »

Le silence intérieur

Il n’a jamais eu de femme, ni de relation sexuelle, ni de télévision, au cours de sa longue vie. On peut avoir toutes ces choses, mais on ne doit pas oublier le chemin pour revenir à la maison, « la maison de Dieu. » La méditation est possible pour tout le monde. Homme et femme.

« Un moment, s’il vous plaît », « pourquoi y a-t-il si peu d’instructeurs ou de Maîtres féminins? »

Sa réponse est simple: « Dieu est bon. Il a doté les hommes et les femmes d’instincts différents. L’homme est fort, brave, hardi, et endurant. Il peut s’asseoir sous un arbre toute la journée ou toute la nuit. Il n’a pas peur. Il est satisfait avec le peu de nourriture qu’il reçoit. D’un autre côté, Dieu a fait la femme timide, faible, gentille, et pleine d’amour. (Cependant, ici en occident, les femmes peuvent dire « non, non et non! » Ici elles ont les mêmes qualités que les hommes.) Ainsi, une femme ne peut pas s’asseoir sous un arbre la nuit entière seule et méditer sur Dieu. Des hommes pourraient se regrouper autour d’elle et lui faire peur ou la perturber. C’est la différence, et parce qu’il est de toute façon dans la nature de la femme de diffuser de l’amour sur le monde. »

Je fais un signe de la tête, et touché, j’essaie encore de lui résister. Lui résister? Ou plutôt, à la sensation qui me vient? C’est une sensation particulière qui est si rare dans la vie, perdue dans les mémoires de l’enfance, que l’on retrouve seulement quand on est amoureux de quelqu’un: cette sorte d’euphorie qui se transforme à chaque instant en un trésor. Mes yeux rencontrent à nouveau les siens. Il semble me comprendre ainsi que le drame de tous les êtres humains qui sont dominés par leur logique et leur mental, mais qui aimeraient tant sentir la pureté de la vie. Son regard paraît dire: « Tout va bien, rien n’est encore perdu. » « Dieu », dit-il quelques secondes plus tard, « n’est pas dans les livres. On peut Le sentir et Le voir. »

Le retour

Son regard se concentre dans un endroit situé entre mes yeux. Il peut, j’entends sa voix chaude me dire, voir la lumière qui est autour de ma tête. Soudain, j’ai l’impression d’être au-delà du temps et de l’espace. Je n’ai ni doutes ni peines. Au contraire, je me sens protégé, comme s’il y avait en moi une porte claire, insignifiante, devant laquelle je suis passé des milliers de fois, qui soudainement s’est ouverte un peu. A la fin de ce long moment, mon esprit est revenu à lui pour me dire: « Ce moment était la Réalité, n’oublie jamais ceci! »

Un quart d’heure plus tard, je suis à nouveau dans les rues de Vienne, sans but, légèrement euphorique, comme si je revenais d’un voyage qui était totalement différent. Soudain, cette question, qui au commencement avait disparu comme de la fumée d’encens, me revient: m’expliquerait-il ce qu’est Dieu ? J’avais la réponse maintenant, sans que le vieil Indien n’ait eu a gaspiller beaucoup de mots à Son sujet. Il y a un monde de différence quand on rencontre un Maître qui sait, ou qui peut indiquer dans quelle direction le chercheur doit aller. C’est à cela que servent les poteaux indicateurs.